notes

carnet de poche

Au commencement était la fin

On se demande : « Comment ? » alors qu’on ne sait pas encore pourquoi. Erreur fondamentale. On jette, alors, par-dessus son épaule, des pièces dans les sables mouvants. La fin justifie les moyens, c’est une accusation, le reproche d’un manque de sens moral que font souvent les membres de la confrérie des randonneurs portant des chaussures de plomb.  Si la fin justifie les moyens, les moyens sont justifiés, expliqué, par la fin, le but, le pourquoi.  C’est une solution d’une élégance admirable, un remède miraculeux aux tentatives de battre des blancs en neige à l’aide d’un gant de toilette.

22/05/2023

But the food…

Soumettre la forme à la fonction est un moyen d’échapper aux impitoyables questions de gout. La fonction peut être : « être esthétiquement plaisant pour le commanditaire », on en revient à la question de gout, mais la fonction peut également être de transmettre un propos, des valeurs, une idée. C’est une approche qui permet de fixer des points moins flottants que, j’aime, je n’aime pas. Des point sur lesquels on peut dialoguer de manière constructive.  Mais lorsque l’on sait créer des formes, on n’a pas nécessairement le courage de définir une fonction.

Fainéantise, couteuse pour tous, le designer produit un travail subordonné aux gouts et aux bons vouloirs d’un commanditaire qui n’est assurément pas un expert dans le domaine de la forme et des couleurs (si tel était le cas, il ne ferait pas appel à un professionnel). Le designer doit produire un travail dans des conditions stressantes : « Est-ce que le travail va plaire ? » Et non pas : « Est-ce que le travail remplit sa fonction ?  » Le commanditaire se voit dans l’inconfortable position de devoir prendre des décisions importantes, parfois couteuse, sans pouvoir se reposer sur autre chose que son sentiment, son intuition, là où il devrait pouvoir compter sur les compétences du designer. Le spectateur, qui subit le spectacle navrant d’un travail parfaitement médiocre et creux qui n’a aucune chance de le réveiller, de le surprendre. En somme, un travail qui n’a aucun problème avec les arguments d’autorité, parce que de tels arguments évitent la pénible tâche de réfléchir et l’insupportable fait de devoir prendre ses responsabilités.

Vous connaissez probablement Melvina Reynolds pour sa chanson Little Boxes, célèbre thème d’introduction de la série Weeds. En 1967, l’album – Melvina Sing the Thuth – s’ouvre sur un titre qu’il me plairait de faire entendre à mes collègues ainsi qu’à mes potentiels nouveaux clients :

26/01/2023

Vertige

nom masculin :

1. Dire la même chose autrement.

26/01/2023

Métonymie particulière

Votre projet n’est pas de gagner de l’argent, votre projet n’est pas de construire un vaisseau spatial, ni d’ouvrir un salon de coiffure, ou encore de créer une application (nécessairement révolutionnaire, au minimum disruptive, comme le disent certains…)

L’argent, le vaisseau, le salon, l’application, ce ne sont que des moyens. Toutes ces choses n’ont aucun intérêt en elles-mêmes. Faire des distinctions, définir les termes, c’est des choses que l’école néglige et que la paresse intellectuelle ambiante abhorre, alors, il n’est peut-être pas encore évident pour vous qu’un projet, c’est une chose qui implique une relation entre soi et soi-même ou bien entre soi et les autres.

Un projet est l’expression d’un désir, ce désir est la raison d’être d’un projet valable. La formule est simple :

  • (x) veut faire (!) à (x) et/ou (y) grâce à (~)*

 

*(x) et (y) sont des personnes – (!) est une action – (~) est un moyen

Un exemple : Pierre veut permettre à Paul de vivre à l’abri des intempéries grâce à sa capacité de lui construire une maison.

C’est un projet valable.

Un contre-exemple : Pierre veut gagner de l’argent en construisant des maisons.

Formulé de la sorte, selon ma définition, ce n’est même pas véritablement un projet.

Vous remarquerez que le projet valable à deux grandes qualités. La première, c’est la flexibilité, en effet son moyen peut changer sans le remettre en cause.

Pierre veut permettre à Paul de vivre à l’abri des intempéries grâce à sa capacité à lui confectionner un manteau, à faire voter une loi qui permet à tout le monde d’avoir un logement, à lui prêter de l’argent, à l’héberger chez lui, etc.

La seconde qualité, c’est qu’elle est bien plus propice à une démarche d’amélioration, elle est chargée de sens, elle n’est pas un moyen d’acquérir un moyen, d’acquérir un moyen, etc.

Yves Saint Laurent disait : « Le plus beau vêtement qui puisse habiller une femme, ce sont les bras de l’homme qu’elle aime. Mais, pour celles qui n’ont pas eu la chance de trouver ce bonheur, je suis là.« 

Les « certains » dont je parlais au début qualifieront cette citation de « mission statement », si ça leur fait plaisir, si leur projet, c’est d’exclure « ceux qui n’en sont pas », en obscurcissant leurs propos au moyen d’emprunts inopinés à la langue anglaise. Why not ?

17/01/2023

simple question

Si pour vous l’expression : « apprendre à penser par soi-même » ne suscite pas une immense perplexité, il est peu probable que l’expression : « savoir penser par autrui » vous dérange.

C’est généralement la manière dont on justifie, en classe de terminale, les misérables heures de philosophie dispensées dans un cadre qui est incompatible avec cette pratique.

Vous allez désormais « apprendre à penser par vous-mêmes ».

  • Qu’est-ce qu’ « apprendre » ?
  • Qu’est-ce que « penser » ?
  • Ces deux actions sont-elles compatibles, si oui, sous quelles conditions ?
  • Apprendre et penser sont-elles des actions qui nécessitent un sujet conscient de lui-même ?

 

C’est un travail très difficile, bien trop vaste pour un simple billet de blog. Ouf !

Il semblerait que « penser par soi-même » soit une tentative maladroite d’établir une sorte d’autonomie, auto-nomie, auto nomos, établir ses propres règles, apprendre à établir ses propres règles donc. Apprendre un ensemble de règles universelles pour établir des règles individuelles, particulières dans la mesure où elles appartiennent à un sujet ? Mais, établir une règle, est-ce penser ?

Finalement, a-t-on besoin, qu’un beau jour, on nous offre cette autorisation, voilée dans une dentelle d’enseignement, de penser alors que depuis toujours, nous pensons constamment ? Et pire encore, de constater douloureusement que nous ne sommes naturellement pas maîtres de nos pensées.

Si cela vous irrite, sans odeur d’encens, sans posture étrange, mettez un chrono de 3 minutes, fermez les yeux et observez tout ce qui vous passe par la tête.

Demandez-vous maintenant si vous étiez véritablement à l’initiative de ce flux d’idées. Et si cette expérience ne vous convainc pas, essayez désormais de ne pas penser à une orange.

09/01/2023

Georges

05/01/2023 aujourd’hui, je lance officiellement mon activité, aujourd’hui, je finalise mes cartes de vœux pour 2023, aujourd’hui en cherchant une adresse postale pour Mr. Georges Lois, j’apprends son décès.

Le 18/11/2022, deux mois après la femme qui l’a accompagné pendant la plus grande partie de sa vie, Georges, 81 ans, s’est tu.

Georges Lois se définissait comme un « visual communicator », et même si ce n’est pas vraiment important, comparativement à l’impact qu’il a pu avoir sur la culture visuelle, la publicité, il a eu droit à une rétrospective au MoMa pour son travail, entre autre, d’auteur de couverture pour Esquire.

J’ai regardé beaucoup de « talks » de ce monsieur, en sa mémoire, et avant de me plonger plus avant dans ses livres, je suis triste et fier de vous partager quelques-unes de ses punchlines. D’une parce qu’elles sont brillantes et ensuite parce que je suis d’accord avec beaucoup d’entre elles.

>3 commandments in this domain (graphic design) where there’s no rules.

– reject group grope (use your head)
– reject analysis paralysis
– reject con, create icons

3 commandements dans ce domaine (design graphique) où il n’y a aucune règles

– rejetez les groupes de recherches / panels (servez-vous de votre tête)
– rejetez la paralysie analytique
– rejetez le mensonge, la duperie, créez des icônes

>The creativ act is the defeat of habit by originality.

L’acte créatif, c’est la défaite de l’habitude par l’originalité

>Great design is the transformation of a « big idea » in an unforgettable image.

Le design remarquable, c’est la transformation d’une « grande idée » en une image inoubliable.

>You can be cautious or you can be creative, but there’s no such thing as a cautious creative.

Vous pouvez être prudents ou vous pouvez être créatif, mais il n’existe pas de créatif prudent.

>Never surrender, no one can force you to do bad work.

Ne vous rendez jamais, personne ne peut vous forcer à faire du mauvais travail.

>Be careful, motherfuckers are out to get you !

Soyez prudent, les enfoirés sont à l’affut ! 

Par « motherfuckers – enfoirés » il faut comprendre : « ceux qui pourraient nous convaincre de faire du mauvais travail. »

>It’s « Art » first in « Art Director ».

Traduit, cela ne fonctionne plus, mais on pourrait esquisser, « Artistique » prime dans « Directeur Artistique ».

Merci Mr. Lois d’avoir exprimé toutes ces choses, pas tant parce qu’elles sont novatrices ou impensables pour un enfant des années 80 tel que moi, mais beaucoup plus égoïstement, parce qu’en les rencontrant, je me suis senti moins seul.

05/01/2023

faiblesses

Au moins deux choses peuvent anéantir un argument, au moins deux choses peuvent détruire un bâtiment : une structure dysfonctionnelle, un contexte qui n’offre aucun support. 

La combinaison des deux, c’est-à-dire, un énoncé qui ne tient pas debout, construit sur du sable, laisse une immense liberté pour susciter des réponses émotionnelles très fortes.

Nous sommes humains, nous ne pouvons pas tout savoir, alors parfois, on fait une faute de conception et il arrive que le contexte nous échappe. Ce n’est pas bien grave. La vraie faiblesse ici ce n’est pas de se tromper, la véritable faiblesse, c’est d’affirmer que ce que l’on dit est universellement vrai, alors qu’on écrit des horoscopes ou des preuves de l’existence de Dieu.

04/01/2023

subtilité fondamentale

Si jamais, un jour, vous avez le privilège d’aller chez un tailleur pour vous faire habiller, vous serez sûrement confronté à un choix :  demi-mesure ; sur-mesure ; grande mesure.  La différence entre les deux premières options n’est que quantitative, en revanche la différence entre sur-mesure et grande-mesure est qualitative, voilà pourquoi.

Lorsqu’on fait un costume, on a besoin d’un patron, une pièce de papier qui sert de gabarit afin de couper ensuite le tissu aux bonnes dimensions. Il existe des patrons types, des structures types. Un costume sur-mesure, c’est un patron type que l’on altère, que l’on modifie, que l’on adapte aux mesures d’une personne.

En grande mesure, en revanche, on crée un patron unique en fonction de la personne, c’est-à-dire de ses mesures, mais pas seulement.

Ici se trouve la différence qualitative : dans un cas, il s’agit d’une adaptation, dans l’autre d’une création.

Sur-mesure, grande mesure, on peut aller très loin dans la « customisation », choix du tissu, des boutons, du nombre et du type de poches, largeur du revers de col, etc. Mais seule la grande mesure permet de dépasser les effets de surface.

De surcroît, la création d’un patron, d’un costume en grande mesure, c’est la trace d’une conversation entre deux êtres humains, c’est profondément précieux.

Si vous pensez au cas spécifique du handicap et des implications que cette différence qualitative d’approche implique, sachez que vous n’êtes pas seul.  

28/12/2022

éteingnez la lumière

Fermez vos dictionnaires.

Avant même de savoir ce que signifie le terme : « anti-intellectualisme », nombreux sont celles et ceux, pointés du doigt, couvert de honte au son d’une variation de cette invective : « on dirait qu’il/elle a lu le dictionnaire ! ».  Il y a énormément de choses à examiner dans cette courte phrase, dans ce symptôme de la bêtise.

Les esprits producteurs de laine sont redoutables pour susciter la honte, couper ce qui dépasse, afin de préserver les choses comme elles sont. Les esprits producteurs de laine n’aiment pas le changement.

Le dictionnaire est un outil méprisé par ceux qui refusent d’avoir une chance d’y voir clair. De notre point de vue, une chance, mais c’est un risque selon eux.

– « On dirait qu’il a lu le dictionnaire ! »

– « On dirait qu’il a lu l’annuaire téléphonique ! »

Il y a des similitudes de surface entre un annuaire téléphonique et un dictionnaire, mais les différences fondamentales sont irréconciliables. Un dictionnaire n’est pas un annuaire, ce n’est pas une collection de mot organisé alphabétiquement, c’est un système. Un dictionnaire, c’est une boucle, des boucles plus ou moins amples, plus ou moins métaphoriques, qui permettent à tout le monde de rentrer dedans au point qui lui est accessible. C’est encore mieux que ça, c’est une clé à cliquets, une roue libre monodirectionnelle, un mécanisme qui ne peut que nous faire avancer dans la connaissance.

Dans le dictionnaire, au mot : « dictionnaire », il y a une définition alors qu’il pourrait simplement y avoir inscrit : « l’objet que vous tenez entre les mains ».  Alors est-ce la marque d’un manque de simplicité ? Non, en réalité, c’est un souci d’universalité, en effet ce dictionnaire, s’il appartient à cette sorte d’objets que l’on appelle dictionnaire, ne saurait être suffisamment général pour décrire la sorte d’objet auxquels il appartient.  Par exemple, si le dictionnaire que je tiens entre les mains à une couverture rouge, je pourrais faire l’assomption selon laquelle tous les dictionnaires ont des couvertures rouges, ce qui serait faux.

Un dictionnaire est nécessairement dynamique, cela se produit au prix de définitions imparfaites. Chaque mot est quelque chose de plus que la définition qui lui est attribuée et c’est parfaitement formidable, car cela rend les définitions accessibles. Si au mot « Chat » il était inscrit  : « Chat », la définition serait optimale, identique à l’originale, mais impénétrable, en réalité ce n’est pas une définition, difficile d’apprendre ou de comprendre quoi que ce soit dans ces conditions. 

Il est normal, et même souhaitable, d’être insatisfaits des définitions du dictionnaire, mais il faut bien reconnaître qu’il est impossible de sculpter un bloc de marbre qui n’existe pas. Le dictionnaire est un point de départ, un outil, dans son noble usage, il ne sert pas à dire : « ça existe » comme au Scrabble, ou « j’ai raison », il sert à éviter que nous jouions au tennis ensemble, mais sur deux cours différents. 

Alors ce n’est pas : « On dirait qu’il a lu le dictionnaire ! » , c’est : « Il a lu le dictionnaire, et il lui arrive encore souvent de l’ouvrir pour continuer d’essayer de jouer avec toi ! »

19/12/2022

Lille – quai du wault

L’idéal serait de vous rencontrer, en vrai, I.R.L. ou A.F.K., en chair et en os, dans un bel endroit où l’on pourrait parler librement, être vulnérables, être courageux, être détestables, être complexes, rigoureux, être.

Les réseaux sociaux permettent des points de contact nombreux, un foisonnement de points de couture mal fait, qui ne tiennent pas. Ces non-rencontres, ces fragiles simili-interactions se déroulent dans un endroit comparable à un centre commercial, le weekend avant Noël.

Étourdis, nous y sommes, par injonction sociale, malgré l’inhospitalité mal dissimulée du lieu, dans l’espoir d’y trouver quelque chose de singulier pour ceux qu’on aime. Et puis l’on se souvient, ceux qu’on aime n’ont pas besoin de choses laides, mal produites, achetées sans autre raison que la perpétuation d’un modèle, d’une convention standard de démonstration d’amour / d’intérêt. Non, ceux pour qui on est là, on ne les aime pas, vraiment, ils n’ont rien fait de mal, mais on ne les connaît pas, vraiment.

Et si l’on trouve des choses singulières dans un centre commercial, c’est nécessairement un accident.

Notre rencontre est improbable, alors construire des liens de qualité n’est pas une chose aisée, mais, ici, je peux me montrer vulnérable, courageux, détestable, complexe, rigoureux, etc. D’ailleurs, ici, vous êtes libres d’être toutes ces choses également. Chacun de vos messages est l’occasion d’une interaction digne de ce nom, ça vaut bien plus que tous les « likes » du monde.

Alors pourquoi, Lille – Quai du Wault ?

Il y a de nombreuses années de ça, je tenais un blog, une fille dont le pseudonyme variait de « Noir Bonbon » à « Ta belle Idiote », tenait aussi un blog. Elle commentait ce que j’écrivais, ce qui n’était pas une chose aisée, je faisais de même.  Puis, nous nous sommes échangés des mails, des SMS, pendant plusieurs années et un soir, nous nous sommes donnés rendez-vous à Lille, Quai du Wault, nous avons passé la nuit à parler, installés sur un banc public. Cette fille s’appelle Laetitia, nous vivons ensemble depuis 15 ans.

15/11/2022

Intuitions sans concepts

« Sans la sensibilité, nul objet ne nous serait donné, et sans l’entendement, aucun ne serait pensé. Des pensées sans contenu sont vides, des intuitions sans concepts sont aveugles. Par conséquent, il est tout aussi nécessaire de rendre sensibles ses concepts (c’est-à-dire de leur adjoindre l’objet dans l’intuition) que de se rendre intelligibles ses intuitions (c’est-à-dire de les subsumer sous des concepts). Les deux pouvoirs ou capacités ne peuvent pas non plus échanger leurs fonctions. L’entendement ne peut rien intuitionner et les sens ne peuvent rien penser. C’est seulement dans la mesure où ils se combinent que peut se produire de la connaissance. »

E.kant – Critique de la Raison pure, Logique transcendantale, introduction, AK, III, 75, p. 143
 

12/11/2022

carnet de poche originel

L’outil premier, le réceptacle de tous les débordements. L’indispensable support de toutes les pensées valables.

porte mine rOtring 800 0,5mm
mine fabercastell 2b
cahier Moleskine 9×14 cm papier uni
ruban toilé 3M-scotch 19mm